Vélos blancs


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Le projet « vélo blanc » naît dans la mouvance hippie hollandaise, le 28 juillet 1965 dans le but de supprimer la circulation automobile et, par conséquent les embouteillages (la pollution atmosphérique est encore un sujet mineur dans les années 1960). Les provos proposent aux habitants d’Amsterdam de peindre leurs vélos en blanc, leur donnant rendez-vous dans un parc tous les samedis à minuit. Les vélos sont ensuite laissés en libre-service pour la population. Mais le projet est un demi-échec, les vélos dépourvus d’antivols disparaissent rapidement. De plus, la police les juge illégaux justement à cause de ce défaut d’antivols (qui serait une incitation au vol). D’autres plans blancs verront le jour aux Pays-Bas, le plan maisons blanches, le plan poulets blancs, le plan enfants blancs, et d’autres.(*)

Les anarchistes hollandais sont ainsi les précurseurs des vélos en libre-service, qui éclosent un peu partout dans le monde. La première collectivité locale à proposer un tel service fut La Rochelle (1974). Puis il faudra attendre vingt ans, et le système devient payant (c’est fini les seventies !), à Copenhague (1995), suivie par Portsmouth (1996) et Rotterdam (1997). Depuis, le système s’est généralisé. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les gestionnaires ne sont guère inspirés pour trouver un nom original. Il y a ceux qui sont d’une folle inventivité : Vélib (Paris), Vélo’v (Lyon), Villo ! (Bruxelles), V’Lil (Lille), Vél’oh (Luxembourg-ville), Bycyklen (Copenhague) ; ceux qui font la pub du service public qui les gère : VCub (pour Communauté Urbaine de Bordeaux), V’Lil, BiciMad (Madrid) ; ceux qui font de la pub tout court : Barclay’s Cycle Hire (Londres), tellement ridicules que les Londoniens les ont vite surnommés Boris Bikes ; enfin, les inclassables : BIXI (Montréal), Tel o Fun (Tel Aviv), Neuchâtelroule! (Neuchâtel). Finalement, c’est encore Namur qui s’est le plus foulé pour trouver un chouette nom : Li bia velo, soit le « beau vélo » en wallon.

Le réseau Vélib’ de Paris, créé en 2007, serait aujourd’hui le plus étendu, juste après celui de la ville de Hangzhou, en Chine. En 2011, un partenariat permet à la SNCB de lancer le système « Blue Bike », qui remplace l’offre de location de vélos dans les gares du pays, que la compagnie a laissé mourir. Ces vélos bleus se trouvent dans 53 points vélos, très majoritairement en Flandre. Aussi dans les points vélos des gares bruxelloises, où le péage est plus élevé. Le vélo doit toujours revenir au point de départ sinon vous avez une amende. Pas de caution mais le service est réservé aux nationaux, les touristes et même les eurocrates ne peuvent pas les enfourcher. À Bruxelles, le système partage l’espace public avec Villo, lancé par phases à partir de 2009 en remplacement de CycloCity. Vu le succès auprès d’un public très solvable (touristes, expats, jeune classe moyenne), le système de vélo-partage attire de nouveaux opérateurs.

Une start-up gantoise (Mobit) s’est ainsi lancée à l’automne 2017 dans la formule en « free floating », c.-à-d. de vélos qui peuvent être empruntés et restitués partout. L’initiative est neuve en Belgique et concerne les villes flamandes de Malines, Courtrai et Hasselt. Une application (« app ») sur votre smartphone (ce qui implique d’en avoir un…) indique où se trouve le vélo disponible le plus proche. Il suffit de scanner le code QR sur le vélo pour déverrouiller le cadenas. Le cadenas à nouveau verrouillé, le trajet est terminé. Dont coût: 0,45 € les vingt minutes (ça augmente au-delà d’une heure), plus la caution de 49 €. Avantage pour les villes participantes: elles ne doivent plus investir dans des stations vélos. À Bruxelles, les vélos partagés débarquent en force : Billy Bike, avec une flotte de vélos électriques, OBike, venu de Singapour, également en free floating, réputés lourds et chers, Gobee Bike, société de Hong Kong qui a décidé de jeter l’éponge trois mois seulement après leur lancement, dégoûté par les actes de vandalisme, nombreux, mais sans doute aussi par le peu de retour sur investissement.

Déjà les carcasses de vélos vandalisés commencent à encombrer l’espace public. En Chine, les bicyclettes à louer puis à déposer n’importe pullulent au point d’irriter les habitants comme les autorités. Le boom de ce marché devait réduire l’usage de la voiture ; il réussit surtout à provoquer une immense pagaille, et l’apparition de gigantesques cimetières de deux-roues abandonnés ou réformés, comme à Shanghai. À Montréal, on songe à légiférer en la matière. (**) Il n’y a sans doute pas la place pour un nombre illimité d’opérateurs. On parle de légiférer. D’autant que de nouveaux acteurs entrent en jeu. À l’automne 2018, on annonçait l’arrivée à Bruxelles de Bird, des trottinettes électriques en free floating. (***) Et c’est déjà le deuxième opérateur de trottinettes partagées dans la capitale…

Hoverboard, gyroroue, gyropode (type : Segway), mini-scooter… Les moyens de locomotion minimalistes explosent littéralement en ville. Et à « l’âge de l’accès », on ne s’encombre plus de propriétés personnelles, on loue un service… Ces vélos en libre-service participent, certes de manière marginale, à la diminution du trafic automobile qui congestionne les villes. Contrairement aux idées reçues, rouler à vélo salit moins les poumons que conduire dans l’habitacle d’une voiture, où l’on se croit à tort mieux préservé de la pollution. Une étude menée en 2008 par l’Observatoire régional de l’air en Midi-Pyrénées montre même que le vélo expose presque huit fois moins aux particules fines que le métro !

(*) Cf. Jean-Pierre Bouyxou et Pierre Delannoy, « L’Aventure hippie », 10/18, 2004, pp. 23-26.
(**) « Le Devoir » (Montréal), 11 septembre 2017.
(***) Le Soir, 18 septembre 2018.

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